Le garçon qui ne pouvait pas chanter

Mise en ligne Sep 21, 2014 par Etoile du Matin dans Coin Enfants

Le garçon qui ne pouvait pas chanter

   Le ciel d’Italie n’aurait pu être plus bleu, et le vent du sud soufflait, chaud et parfumé. Niccolo chantait gaiement tout en sautant dans la poussière du sentier, mais son ami restait silencieux.

   Après quelques minutes, Niccolo regarda Antonio.

— Pourquoi est-ce que tu ne chantes jamais ? demanda-t-il. Tu n’es pas content ?

   Antonio fit un signe de tête.

— Si, Niccolo, je suis content, mais je ne peux pas chanter.

   Les yeux de Niccolo s’ouvrirent tout grands de surprise.

— Tu ne peux pas chanter ! s’exclama-t-il. Je pensais que tout le monde savait chanter. Dans ma famille, nous chantons tous. Ma mère, mon père et mon frère. Pourquoi est-ce que tu ne peux pas chanter ?

   Antonio baissa la tête. Il ne savait pas lui-même pourquoi il n’arrivait pas à chanter. Il savait seulement que sa voix, qui émettait des sons normaux quand il parlait, se mettait à siffler et à grincer quand il essayait de chanter. Il ne pouvait vraiment pas expliquer cela à Niccolo, aussi se contenta-t-il de lui dire :

— Je ne sais pas chanter, c’est tout !

   C’est ainsi qu’au village où il était né, Antonio Stradivarius était connu comme le garçon qui ne pouvait pas chanter. Certains de ses amis avaient pitié de lui ; d’autres riaient et le poussaient à chanter pour entendre ses cris aigus.

   Mais Antonio ne se laissa pas démonter par les taquineries de ses amis. Il passa de plus en plus de temps à  sculpter des objets dans le bois. A l’aide d’un canif bien aiguisé, il reproduisait tout ce qu’il voulait d’une façon ressemblante – un chien, un mouton, un oiseau, même une personne.

   Un jour, par hasard, Antonio fit la connaissance de quelqu’un qui habitait son village et qui était aussi très habile de son couteau. C’était le célèbre luthier Amati. Il était le plus grand fabricant de violons de toute l’Italie, et il était très riche.

   Antonio pensait beaucoup au luthier, et il savait que c’était la profession qu’il voulait apprendre. S’il ne pouvait pas chanter, il fabriquerait des instruments de musique.

— Je vais aller voir le luthier, décida Antonio.

   Antonio eut du mal à décider lesquelles de ses sculptures il allait emporter pour montrer à Amati. Aucune ne lui semblait assez réussie, mais finalement il en choisit quelques-unes sur lesquelles il avait travaillé le plus longtemps.

   C’était encore très tôt le matin quand Antonio arriva chez le luthier. En fait, l’heure était tellement matinale qu’un serviteur allait renvoyer le jeune garçon quand Amati l’entendit à la porte.

— Pourquoi veux-tu me voir ? demanda-t-il à Antonio.

   La voix d’Antonio trembla d’enthousiasme.

— Pour vous montrer ce que j’ai fait avec mon couteau, monsieur, répondit-il. J’ai entendu dire que vous étiez un grand luthier. C’est ce que je voudrais faire plus tard aussi.

   Amati fit un signe de tête et prit les objets sculptés des mains d’Antonio. Il étudia attentivement chacun d’entre eux. Et après les avoir bien regardés, il sourit à Antonio.

— Alors, tu veux fabriquer des violons ? demanda-t-il doucement. Pourquoi ?

— Parce que je ne peux pas chanter, répondit Antonio. Puisque je ne peux pas faire de la musique avec ma voix, je veux en faire avec mon couteau !

— Et tu en feras ! dit le célèbre luthier en posant sa main sur l’épaule d’Antonio. Si tu as le courage de travailler longtemps et patiemment, tu créeras quelque chose qui durera bien plus longtemps qu’une chanson.

— Je travaillerai dur, et j’aurai de la patience, promit Antonio, les yeux brillants de joie. Je ferai n’importe quoi pour apprendre à fabriquer des violons.

   Parfois, les heures semblaient bien longues, et Antonio était très fatigué. Mais il ne déposait jamais son couteau. Bien souvent, quand il croyait qu’un violon était parfait, son maître lui en montrait les défauts. Mais le jour vint où Amati ne put rien trouver à redire au travail d’Antonio.

   Lorsque le maître luthier mourut, Antonio Stradivarius prit sa place. Personne en Italie ne fabriquait des violons aussi parfaits. En fait, personne au monde n’était capable de rivaliser avec Antonio. Personne n’essaya. Personne, sauf Antonio lui-même. Il travaillait sans relâche pour que chaque violon soit plus beau et plus parfait que le précédent.

   Antonio Stradivarius vivait il y a plus de deux cents as. Les chansons que ses amis d’enfance fredonnaient sont oubliées depuis longtemps, mais dans le monde entier, on se souviendra toujours des violons d’Antonio. Plus de 1100 violons sortirent de ses mains, et il en existe encore 400 à travers le monde. Aujourd’hui, un Stradivarius a une très grande valeur.

   Nous pouvons parfois entendre ce merveilleux instrument parce qu’un jeune garçon décida un jour de créer quelque chose de beau pour l’offrir au monde. Le temps et les efforts peuvent accomplir des miracles. Nous ne devons pas nous décourager si nous n’avons pas de talents extraordinaires. Nous devons nous efforcer de développer et améliorer les talents que nous possédons.

   La prochaine fois que vous verrez un beau violon, pensez au jeune garçon qui travailla de tout son cœur et de toutes ses forces pour en fabriquer. Et souvenez-vous aussi qu’il choisit ce métier parce qu’il ne pouvait pas chanter. – R.B.