Etoile du matin

Rama cherche Cana

Mise en ligne Sep 22, 2014 par Etoile du Matin dans Coin Enfants
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Rama cherche Cana

   C’était une chaude matinée dans le village indien où habitait Rama. Prenant son sac en toile de jute, il se mit en route pour son travail. Il n’aimait pas ce travail, mais il fallait bien qu’il le fasse.

   Voyez-vous, Rama était balayeur de rues, et chaque jour, il devait parcourir les rues poussiéreuses, débarrassant les caniveaux de leurs saletés.

   Rama n’était pas balayeur de rues parce qu’il aimait ce métier. Il était balayeur de rues parce que son père l’était, et parce que son grand-père, et tous ses ancêtres, aussi loin qu’on s’en souvenait, l’avaient été. En Inde, les garçons font généralement le même travail que leur père.

   Rama descendit donc la rue du village. Dans son sac, il mit les goyaves pourries, les noyaux de mangues et les peaux de papayes qui traînaient ici et là. Il dépassa l’école du village et s’arrêta assez longtemps pour regarder par la porte ouverte où il put voir bien des autres garçons du village assis par terre en tailleur et répétant leur leçon en ânonnant. Il voyait aussi le maître, assis sur une petite plate-forme, tenant un livre à la main et un bâton de l’autre.

   Rama n’était jamais allé à l’école, et il savait bien qu’il ne pourrait jamais y aller. Les balayeurs de rues n’allaient pas à l’école. Une fois, il avait demandé à son père de l’envoyer à l’école, et son père avait souri.

— Quand tu saurais lire, tu ne saurais pas mieux ramasser tes ordures, dit-il.

   Rama ne discuta pas. Il savait que c’était vrai.

   Petit à petit, le sac que Rama portait s’alourdissait. Il se détourna de son chemin pour éviter une vache qui reposait au milieu de la rue. Un peu plus loin que l’école, il arriva près d’une grande flaque remplie d’eau par la pluie de la veille.

   Dans cette flaque flottait un morceau de papier qui avait évidemment été arrachée d’un livre. Se demandant ce que les mots voulaient dire, Rama poussa le papier du bout de son bâton. Il le ramassa et le mit à sécher sur une pierre au soleil.

   Lorsque son sac fut presque plein, Rama alla le vider dans le trou aux ordures, à l’autre bout du village. Lorsqu’il revint près de la pierre, le papier était sec. Il redescendit la rue, cherchant quelqu’un qui pourrait le lui lire.

   A l’ombre d’un banian, non loin du temple, il vit un prêtre brahmane, profondément endormi. Il observa l’homme pendant quelques minutes, espérant qu’il s’éveillerait. Lorsqu’il le vit lever la main et chasser quelques mouches qui se promenaient sur son nez, il comprit que le prêtre était éveillé.

   Il s’avança vers le grand homme, mais pas trop près. Il lui tendit le papier, s’inclina, et parla très poliment.

— Très honoré père, que dit ce papier ?

Le brahmane ouvrit les yeux lentement et regarda autour de lui. Voyant le garçon, ses yeux brillèrent d’une colère soudaine.

— Va-t’en, chien ! Et que ton ombre ne tombe pas sur moi ! Comment ose-tu me parler ?

   Rama avait l’habitude qu’on lui parle sur ce ton, aussi ne se vexa-t-il pas. Ordinairement, il se serait retiré humblement et aurait été ailleurs. Mais cette fois il avait tellement envie de savoir ce que disait le papier qu’il s’inclina à nouveau et prit la parole pour la deuxième fois.

— Je t’en prie, père, honore ton serviteur en lui lisant ce papier.

   Le prêtre finit par acquiescer. Mais il ne voulut pas prendre le papier des mains de Rama.

— Jette-le ! commanda-t-il.

   Rama laissa tomber le papier par terre. Le prêtre tendit son bâton et fit glisser le papier vers lui. Il le ramassa, ajusta ses lunettes et lut rapidement d’une voix chantante. Lorsqu’il eut fini, il jeta le papier à terre et ferma les yeux pour poursuivre sa sieste. Mais Rama avait quelques questions.

— Père, où est Cana ?

— Je ne sais pas. Je n’ai jamais entendu parler de cet endroit. Et maintenant, va-t’en !

Avec un soupir, Rama ramassa le papier et le prit avec lui. Ce soir-là, lorsque son père revint du travail, Rama lui posa la même question.

— Père, où est Cana ?

— Je ne sais pas, mon fils. Pourquoi demandes-tu ? Es-ce que tu connais quelqu’un qui habite là ?

— Oui, père. Le prêtre m’a lu une histoire sur un mariage qui a eu lieu à Cana, et un homme très bon qui habite là. Je voudrais aller le voir.

— Il vaut mieux que tu n’y penses plus. Cana se trouve peut-être dans un pays lointain.

   Mais Rama n’arrivait pas à oublier Cana. Cet homme très bon, Jésus, habitait à Cana. Si seulement il pouvait trouver Cana, et Jésus, il savait qu’il aurait un ami. Jésus ne le traiterait pas de chien et ne le chasserait pas. Jésus l’aiderait.

   Pendant plusieurs jours, Rama demanda à tous ceux qu’il rencontra s’ils savaient où se trouvaient Cana. Hélas, personne n’avait entendu parler de cet endroit. Finalement, il rencontra un homme qui, simplement pour plaisanter, lui dit que Cana était un village à quelques kilomètres au nord de Lucknow. Ce soir-là, il posa des questions à son père au sujet de Lucknow.

— Lucknow ? Mais c’est une grande ville, à peu près à cent cinquante kilomètres d’ici.

— Comment est-ce que je pourrais m’y rendre ?

   Son père lui dit qu’il y avait qu’un moyen : prendre le train. A quelques kilomètres du village se trouvait une ville où passait le chemin de fer. Là, on pouvait prendre un train pour Lucknow.

   Un grand projet se dessina dans le cœur de Rama. Il irait à Lucknow et trouverait Cana. Il se mit à économiser de l’argent. Ce n’était pas facile, car il y avait très peu d’argent au village. Il vendit quelques-unes de ses précieuses possessions à d’autres garçons. Il chercha de petits travaux qui rapporteraient quelques pièces. Il prit même un bol en bois, alla se tenir à l’entrée du temple, et mendia. Il lui fallut bien des semaines pour économiser suffisamment d’argent afin d’acheter un aller-retour en troisième classe pour Lucknow, mais il y arriva finalement. Sa mère lui prépara un petit baluchon avec des fruits et du pain. Puis, traversant les collines pour se rendre à la ville où passait le chemin de fer, Rama prit le train pour Lucknow.

   C’était la première fois qu’il voyait un train, et il en eut peur. Mais lorsqu’il vit d’autres personnes y monter, il les suivit. Il arriva à Lucknow après un voyage qui dura quatre heures. Il fut surpris de découvrir une aussi grande ville. Le bruit et le trafic l’effrayèrent. Mais l’espoir de trouver bientôt Jésus lui donna du courage. Il se mit à poser et reposer la même question : « Où est Cana ? Où est Cana ? » Si Cana se trouvait près de Lucknow, tout le monde connaîtrait ce village. Comme il était triste tandis que, l’un après l’autre, les gens qu’il abordait lui disaient n’avoir jamais entendu parler de Cana !

   Rama erra dans Lucknow pendant trois jours. Puis, sa nourriture épuisée, il se rendit compte qu’il lui faudrait rentrer à la maison. Quelque part sur la terre se trouvait un pays, avec une ville appelée Cana, et Jésus y habitait, mais Rama se rendait compte qu’il ne les trouverait jamais.

   Tenant fermement son billet de chemin de fer à la main, il se tint sur le quai, attendant le train qui le ramènerait chez lui. Dans la bousculade, il se retrouva finalement assis dans le vieux compartiment de troisième classe, avec ses longs bancs de bois dur. Il s’assit près de la fenêtre ouverte, les mains croisées, attendant le départ du train.

   Le garde fit un signal avec son drapeau vert, et le mécanicien répondit en faisait siffler la locomotive. Lentement, le train se mit en marche. Au même moment, Rama vit un vieillard qui poussait une remorque le long du quai. Elle était remplie de livres et de journaux, et l’homme criait d’une voix forte et distincte :

— Qui veut acheter l’eau de la vie que donne Jésus ?

   « Jésus ! » Rama se leva d’un bond. Voilà quelqu’un qui connaissait Jésus. Il voulut sortir du compartiment par la fenêtre ouverte, mais l’un des passagers le retint à l’intérieur.

— Reviens ici, enfant de chouette ! Tu veux te faire tuer ?

— Laissez-moi ! Je dois descendre du train ! cria Rama en repoussant l’homme.

   Il courut au bout du compartiment, ouvrit la portière qui donnait sur le quai et avant que personne ne puisse l’en empêcher, il sauta du train en marche. Il n’avait jamais été en train avant son voyage à Lucknow, aussi ne s’attendait-il pas à ce qui se passa ensuite. Le train allant déjà assez vite, il roula plusieurs fois sur lui-même et se retrouva au fond d’un fossé.

   Il resta un moment sans bouger, complètement étourdi. Puis il se releva. Son pantalon était déchiré, et l’un de ses genoux saignait. Mais ce n’était pas cela qui allait l’arrêter. Sautant, courant, boitant, il retourna au quai pour retrouver l’homme qui avait parlé de Jésus. Il était déjà très loin, à l’autre bout du quai, prêt à quitter la gare.

   Comment cet homme l’accueillerait-il ? Mais aucune importance, il fallait qu’il se renseigne sur Jésus. Il courut après l’homme, s’arrêta, et parla doucement :

— Honorable maître, que faites-vous ? Qu’avez-vous dit ?

L’homme se retourna.

— Je vends des livres sur la religion chrétienne, dit-il.

Rama n’avait jamais rien entendu de semblable.

— Est-ce que vous connaissez Jésus ? demanda-t-il ?

   Rama regarda le vieillard dans les yeux en posant sa question, et il tremblait presque en attendant la réponse. L’homme tendit la main et prit celle du petit balayeur de rues. Il le regarda dans les yeux. Il y avait de l’amour dans sa voix lorsqu’il parla.

— Oui, mon garçon, dit-il, je connais Jésus. Pourquoi ?

— Oh ! alors, dites-moi où je peux le trouver. Je croyais qu’il habitait à Cana, mais s’il s’est installé à Lucknow, je veux le voir.

   Le vieillard était profondément ému.

— Viens avec moi, dit-il gentiment.

Serrant bien fort la main de Rama dans la sienne, il se remit en route, poussant sa remorque devant lui.

— Je vais t’emmener là où tu pourras faire connaissance avec Jésus.

   Rama marcha assez longtemps avec le vieil homme, puis ils arrivèrent à la mission, aux abords de la ville. Ils passèrent le portail, et Rama entra dans une grande pièce où de nombreux garçons et filles mangeaient à de longues tables. Le vieillard parla à l’un d’entre eux. Le garçon se leva rapidement, alla à la cuisine et revint un moment plus tard avec un grand bol de riz à la sauce qu’il posa sur la table devant Rama. Rama mangea vivement, car il avait très faim. Puis le garçon remplit le bol une seconde fois, quelque chose qui n’était jamais arrivé à Rama.

   Ensuite, l’homme emmena Rama et lui donna un bain. C’était la première fois que Rama prenait un bain dans de l’eau chaude. L’homme lui avait même montré comment il fallait se servir du savon. Après le bain, Rama trouva des vêtements propres préparés pour lui ; tous ses haillons sales avaient été emportés. Mais Rama ne cessait de se demander quand on l’emmènerait voir Jésus.

   Une fois Rama habillé proprement, le vieillard l’emmena dans sa chambre à lui, et tous deux s’assirent. Puis il parla à Rama, lui racontant la merveilleuse histoire de Jésus : comment il était venu sur cette terre et avait vécu parmi les hommes, les aimant, les guérissant, changeant même l’eau en vin pour eux. Il lui dit la plus triste partie de l’histoire : comment Jésus mourut sur la croix, donnant sa vie pour que tous les hommes puissent vivre à jamais et ne plus mourir.

— Pourquoi a-t-il fait cela ? demanda Rama, tout émerveillé.

— Parce qu’il aime tous les hommes du monde.

   L’amour ! Rama n’avait jamais beaucoup entendu parler d’amour dans sa vie. La plupart des gens le repoussaient.

— Voulez-vous dire que Jésus m’aime, moi ? Je ne suis rien du tout ; je ne suis qu’un balayeur de rues.

— Oui, il t’aime, et si tu le lui permets, il va devenir ton ami dès maintenant.

   Les larmes se mirent à couler le long des joues de Rama. Cela semblait trop beau pour être vrai. Le vieillard lui montra comment s’agenouiller. Rama écouta son ami parler à Jésus, très loin au-delà du ciel. Puis, toujours en prière, le vieillard prononça des mots que Rama répéta après lui.

   Rama resta à l’école. Le missionnaire écrivit une lettre aux parents du garçon afin qu’ils ne s’inquiètent pas. Ils furent surpris d’apprendre que leur fils allait aller à l’école. Cela leur fit grand plaisir.

   Rama étudia de grand cœur, et bientôt il put lire aussi bien que les autres garçons, car il était intelligent. Il aimait lire plus que tout, et il trouvait beaucoup de plaisir à parcourir les livres de la bibliothèque. Mais le livre qu’il préférait par-dessus tous les autres, c’était la Bible, le Livre qui parlait de l’Homme de Cana.