Esteban, le petit vendeur

Mise en ligne Sep 21, 2014 par Etoile du Matin dans Coin Enfants

Estaban, le petit vendeur

   Les tranches d’ananas étaient justes à point, juteuses à souhait. Mais si elles n’étaient pas vendues aux voyageurs de ce train, elles ne seraient plus aussi appétissantes et fraîches pour les passagers du train suivant.

   Estaban courut le long du train qui fait le parcours de Guayaquil à Quito, en Equateur. Bien des mains passèrent  par les fenêtres.

- Ananas ! Tout frais récolté ! criait Estaban en montrant son plateau.

   Mais chacun semblait vouloir des fraises ou des tranches de viande rôtie.

« Pourtant les Equatoriens aiment l’ananas, se disait Estaban, tout étonné. Quelqu’un d’autre doit avoir passé ici avant moi. »

   Estaban travaillait tous les jours dans une plantation d’ananas aux côtés de son père. Il y passait tout le temps qu’il ne passait pas à l’école. La plantation ne leur appartenait pas, mais ils étaient heureux de travailler pour M. Willis, qui était venu des Etats-Unis pour s’établir en Equateur.

- Voici un petit carré d’ananas pour toi tout seul, avait dit M. Willis à Estaban.

Estaban avait baissé la tête, tout surpris.

- Mais pourquoi ? avait-il demandé.

- Parce que tu travailles dur, avait expliqué M. Willis. Et aussi parce que tu vas à l’école tous les jours et à l’église chaque semaine. Beaucoup de garçons trouveraient qu’ils sont trop fatigués pour toutes  ces activités.

- Je vais acheter une écharpe pour maman, pour la protéger du soleil, avait dit Estaban à M. Willis en le remerciant.

   Et maintenant, personne, dans les voitures de seconde classe, n’achetait ses tranches d’ananas. Estaban continua à crier :

- Ananas ! Ananas tout frais !

   Puis il entendit une voix venant d’une voiture de première classe. Là, les gens avaient davantage d’argent. Les voitures de seconde classe étaient pour les plus pauvres.

« Je n’ai jamais osé aller vendre mes ananas aux passagers de première classe », se rappela Estaban.

   Et pourtant, dans une minute, le train allait repartir, et Estaban ne pourrait pas acheter l’écharpe pour sa mère. Pendant des jours, il y avait pensé. Elle serait magnifique, avec des rayures de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Il la voyait déjà sur les cheveux noirs de sa mère. Estaban se mit à courir.

   Un homme passa la tête à la fenêtre et demanda à acheter les tranches d’ananas. Il avait la peau très blanche, comme M. Willis. C’était peut-être un Américain.

- Je les prends toutes ! dit l’homme.

   Estaban souleva son plateau. L’homme le prit.

- Combien ? demanda-t-il.

   Il savait exactement combien il allait demander.

- Cinquante centavos, dit-il à l’étranger.

   L’homme lui tendit un billet. Estaban se mit en hâte à compter la monnaie à rendre. Mais le train s’ébranla.

   Une pensée soudaine vint à l’esprit d’Estaban. « Si je ne peux pas courir aussi vite que le train, cet homme va m’en vouloir. Il aurait dû acheter ses tranches d’ananas plus vite. Il y a longtemps que le train est en gare. » C’était une idée tellement surprenante qu’Estaban cessa presque de compter afin de penser à l’écharpe encore plus magnifique que celle de ses rêves qu’il achèterait pour sa mère avec le billet.

   Puis il se remit à courir, cette fois-ci avec toute son énergie. « Je peux vendre ces tranches d’ananas seulement parce que j’essaie de bien faire et que je vais à l’église, se souvint-il. Jésus, qui est mon Ami, et qui m’aime, ne veut pas que j’aie de telles pensées. »

   Il réussit à rattraper la voiture de première où se trouvait l’étranger.

- Voici votre monnaie, cria-t-il en tendant la main.

Une main passa par la fenêtre, puis se retira presque aussitôt.

- Garde la monnaie, dit l’homme.

Puis il sourit et lança une pièce de vingt-cinq centavos.

- Et voilà encore quelque chose pour un bon petit coureur !

- Je vais acheter l’écharpe pour maman, et un petit âne sculpté pour ma sœur, cria Estaban. Mais tout d’abord, je vais mettre ma dîme de côté, ainsi qu’une offrande pour le Seigneur.

   Mais le train était déjà loin, et personne n’entendit Estaban. Peu importait. Estaban se mit à chanter de joie. Il était heureux parce qu’il avait agi selon les principes de Jésus – bien qu’il ait été terriblement tenté. – A.A.