Le voleur volant
Mise en ligne Sep 22, 2014 par Etoile du Matin dans Coin Enfants
Le Voleur Volant
- Croah, croah, croah ! cria un corbeau noir du haut d’un manguier derrière une petite maison de missionnaires du nord de l’Inde.
Le doctoresse Maria White se laissa tomber sur une chaise et soupira : Combien de temps devrai-je encore rester assise sans rien d’autre à faire que d’écouter les cris des corbeaux ? Si seulement nous pouvions rouvrir l’hôpital ! Mais pas d’argent ! Pas d’argent !
Elle entendit des pas dans la véranda. Quelqu’un se raclait la gorge pour annoncer son arrivée.
- Le facteur, doctoresse !
La doctoresse White se dirigea vers la porte et tendit la main pour prendre la lettre que lui apportait le facteur. Lorsqu’elle l’eut ouverte, il en tomba un chèque.
- Merci ! Merci ! appela la doctoresse.
Merci, la servante indienne, était dans la cuisine. Elle s’élança sur la pointe de ses pieds nus.
- Regarde, Merci, un chèque, s’exclama la doctoresse en agitant un morceau de papier blanc. Maintenant nous pouvons retourner ouvrir l’hôpital à Pasrur !
- Quelle bonne nouvelle ! s’écria Merci, toute joyeuse. Comme les gens vont être contents de voir que l’hôpital rouvre ses portes après avoir été fermé pendant deux mois.
- Dépêche-toi Merci. Appelle un conducteur et dis-lui d’apporter un tonga tout de suite.
Un tonga est une charrette à deux roues tirée par un cheval.
- Mais il fait déjà nuit, Madame, insista Merci.
- Cela n’a pas d’importance, Merci, dit la doctoresse. Nous partons de toute façon et nous passerons la nuit à l’hôpital. Nous aurons beaucoup à faire si nous voulons préparer tout ce qu’il faut pour ouvrir l’hôpital après-demain.
Quelques instants plus tard, un tonga s’arrêtait devant la petite maison. Les pieds nus de Merci couraient d’une pièce à l’autre. Si nous passons la nuit là-bas, nous aurons besoin de nourriture, se dit-elle. Elle prit un panier et y mit un pain – il n’y en avait pas plus dans la maison. Elle ajouta un peu de beurre. Rapidement, elle rassembla quelques poignées de farine qu’elle serra dans un torchon.
Le lendemain matin, la doctoresse White et Merci se levèrent avant l’aube. Elles déjeunèrent du pain et du beurre. Les corbeaux croassaient autour de l’hôpital, mais la doctoresse parut ne prêter aucune attention à leurs cris.
Les deux femmes travaillèrent dur pendant toute la matinée. Elles voulaient terminer pour que l’hôpital puisse ouvrir le lendemain, et elles poursuivirent leur tâche avec tant d’ardeur qu’elles ne se rendirent pas compte à quel point elles avaient faim avant que l’après-midi soit bien avancé.
- Merci, dit la doctoresse White, tu es fatiguée, et tu as faim. Va dans les champs et ramasse quelques feuilles de moutarde.
Avec la farine, Merci fit un grand chapati (du pain sans levain, rond et plat, fait de farine complète).
La doctoresse White s’installa à une petite table au bord de la véranda de l’hôpital et s’apprêta à manger ce qui restait du pain et du beurre. Merci s’assit en tailleur sur un lit de corde indien. Elle avait devant elle une assiette de cuivre. Merci avait mis le chapati sur l’assiette avec le petit tas de légumes au milieu.
Sans avertir, un gros corbeau de montagne se posa devant Merci, enfonça chacune de ses pattes d’un côté du chapati, et s’envola. Il rassembla ses pattes et les légumes restèrent bien serrés à l’intérieur du chapati.
- Un corbeau m’a volé mon repas ! cria Merci et elle sauta en essayant de l’attraper.
Mais le corbeau fut plus leste qu’elle et s’élança vers le ciel.
La doctoresse White restait figée sur sa chaise, momentanément abasourdie par le voleur volant. Elle se leva, et sans lâcher le corbeau des yeux, elle s’approcha de Merci. Toutes deux l’observèrent voler au-dessus de l’hôpital, traverser la ville et disparaître au loin.
- Et bien ! quel vilain oiseau ! Mais quelle intelligence ! As-tu remarqué qu’il n’a pas renversé les légumes !
- Il emmène son larcin bien loin ! J’aurais pensé qu’il allait le déguster dans un arbre près d’ici, s’exclama Merci.
La doctoresse White sourit.
- Eh bien ! puisque ton repas a pris des ailes, viens partager le mien.
Le lendemain, l’hôpital ouvrit. Les deux femmes furent tellement occupées qu’elles oublièrent l’histoire du corbeau.
Deux jours plus tard, Merci dit :
- Regardez, Madame, regardez cette pauvre femme malade qui arrive.
La femme tenait un bébé de son bras gauche, en retenait un autre sur sa hanche droite. Deux autres petits enfants tiraient sur sa jupe.
La doctoresse se précipita pour aider la femme qui, épuisée, s’assit sur les marches de la véranda.
- Vite, Merci, un verre d’eau !
Lorsque la femme se sentit mieux, elle dit :
- Mes enfants, doctoresse, ils meurent de faim.
Et ses yeux étaient une prière.
- Oui, oui, dit la doctoresse en réconfortant la mère. Nous allons tout de suite leur donner quelque chose à manger.
La doctoresse White se tourna vers Merci.
- Va à la cuisine et dis au cuisinier d’apporter du lait.
La maman serra ses deux mains l’une contre l’autre en signe de remerciement.
- Doctoresse, je suis musulmane, et veuve. Quand mon mari est mort, il y a six mois, je suis restée seule avec les quatre enfants. Nous mourions de faim. Pas de nourriture depuis trois jours.
Le cuisinier arriva avec le lait. La mère s’arrêta de parler pour aider son bébé à boire.
Puis elle poursuivit :
- J’ai prié et prié Allah, mais je n’ai reçu aucune nourriture. Notre religion ne s’occupe pas beaucoup des femmes et des enfants. Alors j’ai prié les dieux hindous. Mais nous étions toujours affamés. Puis je me suis dit : Je vais prier le Jésus-Christ des chrétiens de nous envoyer de la nourriture avant que mes enfants meurent. Et j’avais encore les mains jointes et les yeux fermés quand j’ai entendu les battements d’aile d’un corbeau et senti ses plumes toucher mon front. J’ai ouvert les yeux et j’ai vu tout un chapati avec des légumes. Nous avons mangé. Cela nous a sauvé la vie.
Merci et la doctoresse étaient tout oreilles. Elles pensaient toutes les deux la même chose. Etaient-ce vraiment les légumes et le chapati de Merci ?
Alors la femme dit :
- Quelques unes des femmes du village sont passées et ont demandé : Où avez-vous trouvé de le nourriture ? Je leur ai dit qu’un corbeau me l’avait apportée. Je ne suis pas sûre qu’elles m’aient crue.
La doctoresse White et Merci se regardèrent. Merci était reconnaissante de ce que Jésus se soit servi du corbeau pour apporter son repas à la veuve et à ses enfants affamés. – M.S.