Etoile du matin

Le mendiant de Marguerite

Mise en ligne Sep 21, 2014 par Etoile du Matin dans Coin Enfants
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Le mendiant de Marguerite 

   Les trains passaient avec fracas juste derrière la maison de Marguerite. La vapeur qui s’échappait en sifflant de la locomotive et le cri strident du sifflet faisaient beaucoup de bruit, mais cela ne dérangeait pas la petite fille ; au contraire, elle aimait cela

   Souvent, elle allait s’appuyer contre la barrière et saluait de la main le mécanicien et le chauffeur du train, qui ne manquaient pas de lui rendre son salut avec un large sourire.

   La maman de Marguerite était une femme corpulente. Elle aimait préparer des gâteaux et faire de beaux pains de seigle croustillants. Son papa était un homme tranquille, qui travaillait comme comptable dans une grande épicerie.

   Tous les deux étaient chrétiens, aussi Marguerite apprit-elle dès son jeune âge à prier et à aimer les histoires de la Bible. Le soir, après s’être glissée au lit, sa maman venait toujours lui faire la lecture.

   Un jour Marguerite décida de commander quelques exemplaires des Évangiles : Matthieu, Marc, Luc et Jean.

- Que vas-tu en faire ? lui demanda sa mère, le jour où le paquet arriva.

- Je vais les donner aux mendiants, maman. Peut-être qu’ils les liront et qu’ils apprendront ainsi à aimer Jésus.

- C’est une bonne idée ! dit sa mère en retournant à la cuisine, un sourire sur les lèvres.

   Beaucoup de mendiants venaient frapper à leur porte. La maman de Marguerite ne les renvoyait jamais sans leur donner un gros sandwich et un verre de lait. Cette femme remplie de bonté ne pouvait supporter de voir un être humain souffrir de la faim, quelque méprisable qu’il fut en apparence.

   Le jour où Marguerite reçut ses livres, un jeune mendiant vint frapper à la porte de la cuisine. Il n’était pas rasé, ses cheveux étaient longs et mal peignés, il avait l’air las et désemparé.

- S’il vous plaît, Madame, dit-il d’une voix basse et mal assurée, j’ai très faim. Voulez-vous me donner quelque chose à manger ? Je … je n’ai encore jamais mendié, et j’ai honte de la faire. J’ai essayé partout de trouver du travail, mais en vain.

   La maman répondit affirmativement à la requête du jeune homme qu’elle pria d’attendre un moment au frais sur la véranda. Puis elle coupa deux grosses tranches de pain frais, les tartina généreusement de beurre, posa un gros morceau de fromage sur l’une, mis l’autre par-dessus, et remplie un verre de lait.

   Marguerite courut à sa chambre. Après quelques instants d’hésitation, elle se décida pour l’Évangile de Jean. Lorsque sa maman apporta la nourriture au mendiant, elle tendit timidement le petit livre.

- Oh ! merci fillette, dit le jeune homme d’une voix aimable, un sourire timide éclairant ses yeux bleus. Et il s’installa à l’ombre d’un vieux pommier ; tout en mangeant, il lisait le petit livre.

   Marguerite l’observait avec beaucoup d’intérêt à travers la fenêtre de la cuisine. Elle le voyait qui tournait une page après l’autre.

- Maman ! s’écria-t-elle. Il lit l’évangile. Peut-être qu’en ce moment, il lit que « Dieu a tant aimé le monde »…

- Tu es une bonne petite fille, Marguerite, et une vraie missionnaire. Qui sait le bien qui en résultera ?

   Elle se rendit à la porte et appela le jeune homme pour remplir de nouveau son verre de lait et lui donner un petit pain chaud.

- Je n’oubliera jamais votre bonté, Madame, dit-il d’une voix émue, et je n’oublierai pas non plus ce petit livre, ajouta-t-il avec un sourire à l’adresse de Marguerite.

   Les années passèrent. Le père de Marguerite mourut, et un peu plus tard ce fut le tour de sa maman si bonne ; on la conduisit au cimetière de la petite ville pour son dernier repos. Marguerite était devenue une jeune femme lorsqu’un étrange pasteur vint dans la ville où elle habitait et se mit à prêcher des choses plus étranges encore. Avec beaucoup d’autres personnes, Marguerite se rendit sous la grande tente pour écouter les récits de la Bible – récits que jusqu’à ce jour elle n’avait jamais soupçonné se trouver dans les pages du saint Livre. Elle et son mari furent baptisés et devinrent membres de l’Église Adventiste.

   La petite ville située près de la voie de chemin de fer prospérait et s’étendait de plus en plus, et le train passait toujours en grondant. Marguerite racontait souvent à ses enfants comment sa mère donnait à manger aux mendiants et comment, lorsqu’elle était petite, elle leur offrait un exemplaire d’un des évangiles. Parfois, elle revoyait un jeune visage triste et fatigué, le visage du jeune homme qui était venu mendier à leur porte, qui avait honte de ce qu’il faisait et qui avait emporté avec lui un exemplaire de l’évangile de Jean. Et quelquefois elle priait pour lui, où qu’il soit, afin que la semence qu’elle avait jetée puisse un jour éclore pour la vie éternelle.

   Par une journée torride du mois d’août, Marguerite se rendit avec ses enfants à une assemblée. L’après-midi, la réunion était tenue par les colporteurs. Elle aimait beaucoup entendre leurs récits, surtout ceux relatifs au salut des âmes. Au milieu de cette réunion intéressante, un homme d’âge moyen se leva pour parler :

- Je veux vous raconter comment je suis devenu chrétien, dit-il. Je veux vous montrer que ce sont les petites choses qui comptent dans le royaume de  s cieux.

« Lorsque j’était encore jeune, ma mère mourut, et comme mon père était un ivrogne, je m’enfuis de la maison. J’errai d’un lieu à l’autre, travaillant çà et là, au gré des occasions, dormant dans des wagons de marchandises ou sous des hangars, menant une vie sans but. Je n’avais encore jamais rien volé, contrairement à la majorité de mes compagnons, qui se moquaient de moi parce que je travaillais.

 « Finalement, il arriva une période de trois jours durant laquelle je fus incapable de trouver le moindre travail. Je vous assure que j’avais faim ! Je n’avais encore jamais mendié de ma vie, mais comme je longeais la voie de chemin de fer, une odeur délicieuse me parvint de la cuisine où l’on faisait cuire du pain. Jamais de ma vie, je n’avais senti quelque chose d’aussi bon ! Il me fallait absolument un peu de ce pain. »

   Le cœur battant, Marguerite se redressa sur sa chaise, et examina le visage de l’homme. Mais oui, c’était le même visage ! Elle s’en souvenait encore très bien, même après vingt ans ! C’était le même visage qui s’était penché sur le petit évangile de Jean, sous le pommier dans le jardin de sa mère.

« J’allais frapper à la porte, continua l’homme. Jamais je n’oublierai comme je tremblais ! J’étais en souci à cause de mon apparence de vagabond et de l’inutilité de mon existence, lorsqu’une dame aimable ouvrir la porte. Une petite fille se cachait dans ses jupons.

- Certainement, je vous donnerai quelque chose à manger, dit la dame après m’avoir écouté. Et lorsqu’elle m’apporta du pain, du fromage et du lait, la chère petite fille sortit de derrière elle et timidement me tendit l’évangile de  Jean. Ce jour-là, je reçus plus que de la nourriture ; je trouvai le Seigneur Jésus. »

   Marguerite, les larmes aux yeux, fit un effort pour se lever et parler. En un instant, l’homme fut près d’elle, lui serrant la main. Il était bouleversé en disant :

- Le pain que votre mère m’a donné et l’évangile que vous m’avez offert furent pour moi le point de départ d’une nouvelle vie. Votre mère le saura un jour. J’espère la rencontrer dans le royaume des cieux et le lui dire moi-même.

   Marguerite dit souvent que ce fut le plus beau jour de  sa vie !