Etoile du matin

Le test de la vis

Mise en ligne Sep 22, 2014 par Etoile du Matin dans Coin Enfants
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Histoires des enfants huguenots

   Le 15 avril 1589, Henri de Navarre, roi de France accorda aux protestants de son royaume le célèbre édit de Nantes, ainsi nommé, parce qu’il fut premièrement proclamé dans la ville de ce nom. Jusqu’à ce moment, même après l’apparition de la Réformation, les adhérents d’une foi nouvelle et plus pure avaient souffert de continuelles persécutions de la part du clergé catholique, dont la religion était seule reconnue par l’Etat.

   Alors il fut pourtant permis aux Protestants ou Huguenots, comme on les nommait en France, de servir Dieu à leur manière, dans tout le royaume. Depuis environ cent ans déjà, quoique plusieurs lois tyranniques eussent été décrétées contre ces protestants, et quoiqu’ils eussent été victimes d’innombrables cruautés, ils jouissaient d’une liberté plus complète, ce qu’ils n’avaient pas eu depuis les mauvais jours de François Ier.

   Mais l’église de Rome avait vu d’un œil jaloux et mauvais les concessions accordées par l’Edit de Nantes. Le pape Clément VIII dans une lettre adressée à Henri IV, disait qu’« un édit qui accordait la liberté de conscience à chacun était la chose la plus mauvaise qu’on eût jamais faite, » et l’artificieux clergé employa tout son génie malfaisant pour détruire les dispositions favorables.

   On ne doit donc point être étonné de voir qu’à la fin du règne de Louis XIV, de longues années d’oppression aboutirent à ce qu’on appelle la Révocation de l’Edit de Nantes. Ceci arriva le 22 octobre 1685.

   D’un trait de plume, tous les privilèges accordés par Henri IV furent anéantis et une fois de plus les terreurs de l’épée et du bûcher poursuivirent les Huguenots.

   Il en résulta une persécution sans miséricorde. Pour y échapper, les Huguenots s’enfuirent par milliers de leur pays natal. Un grand nombre réussit à passer en Angleterre, en Hollande, en Allemagne et même en Amérique ; mais les frontières et les côtes de France furent bientôt surveillées avec une telle vigilance que, peu à peu, il devint presque impossible de quitter le pays. Etre pris signifiait séparation des maris et des femmes, des parents et des enfants, emprisonnement, torture et mort. Ni la tendre enfance, ni la vieillesse vénérable n’obtenait grâce.

   Je me propose de parler des aventures et des souffrances de quelques petits enfants, pendant cette époque de cruauté.

   Dans la ville de Nîmes, vivaient alors un jeune horloger et sa femme. Ils avaient un enfant – une petite fille. Les horreurs de la persécution s’approchaient de la ville de jour en jour. Des amis les avaient précédés au-delà de la mer et ils savaient qu’une vie honorable et heureuse serait leur partage à l’étranger, mais il semblait impossible d’échapper. S’ils se montraient aux portes de la ville avec leur enfant, leur dessein serait découvert et déjoué. Cacher l’enfant était également impossible, car tout ballot de marchandise était rigoureusement visité ; il ne pouvait être non plus question de confier l’enfant à un étranger ; ni catholique ni protestant n’aurait voulu courir ce risque.

   A la fin, il leur vint une heureuse idée. Comme le soir approchait, ils donnèrent un narcotique au petit enfant, puis ils l’enveloppèrent dans des manteaux et autres vêtements jusqu’à ce qu’il eut l’air d’être un paquet de chiffons ; ils passèrent une corde à l’entour et y attachèrent plusieurs ficelles au bout desquelles était du liège.

   L’obscurité étant complète, ils quittèrent en tremblant la maison pour mettre leur plan à exécution. Dans les vieilles villes de ce temps-là, les rues un ruisseau qui coulait au milieu des rues. A Nîmes, ce ruisseau passait sous la porte et coulait dans la campagne, en dessous de la ville.

   En approchant de la poterne déjà fermée pour la nuit, la mère déposa son précieux fardeau au bord du ruisseau, pendant que le père arrangeait les ficelles garnies de liège. Il n’y avait pas beaucoup d’eau, mais pourtant assez pour mouiller l’enfant et le réveiller. Cela aurait tout gâté, et il est certain qu’ils prièrent que le narcotique tint leur cher enfant un peu plus longtemps endormi.

   Ensuite les parents frappèrent à la maison du garde et lui demandèrent de leur permettre de sortir de la ville. Le factionnaire les connaissait bien, et il les regarda avec attention ; mais voyant que la mère n’avait pas son enfant dans les bras, il en conclut qu’ils voulaient simplement faire une course dans la campagne ; car, pensa-t-il, aucune mère huguenote n’abandonnerait son enfant. Il fit donc jouer la pesante serrure, et les fugitifs passèrent de la lumière projetée par la lanterne du garde, dans l’obscurité.

   Ils attendirent près de la muraille que le bruit des pas du garde se fût éloigné. Alors, le père courut sur le bord du ruisseau dont l’eau murmurait entre les pierres. Bon ! voilà un liège nageant bravement, traînant son bout de ficelle.

   - Tire doucement, qu’elle ne casse pas, dit la mère à voix basse. Maintenant, Dieu soit loué ! L’enfant a passé sans encombre sous le portail massif ; pas un cri ne lui a échappé, et un moment après, sa mère le pressait sur son sein palpitant de crainte et d’émotion.

   Après une marche précipitée à travers la campagne, parents et enfant se trouvèrent à l’abri dans la maison d’un ami. De là, ils purent facilement s’embarquer sur un vaisseau qui attendait les émigrants.

   Une autre famille huguenote, composée du père, de la mère, d’une fille, Angèle, âgée de 16 ans, et de deux petits garçons, Edouard et Armand, âgés respectivement de 6 et 4 ans, résolut de fuir loin de leur malheureux pays. C’étaient des gens riches, de sorte qu’ils commencèrent à coudre leur argent et leurs joyaux dans un certain nombre de jaquettes piquées, telles qu’on en portait alors et qu’ils confièrent à des amis de l’autre côté de la mer. Mais au moment même où ils étaient prêts à partir, le père fut arrêté et jeté en prison.

   Les membres de sa famille accoururent auprès de lui, mais il les supplia de ne point retarder leur fuite à cause de lui ; qu’il les rejoindrait quand de meilleurs temps seraient venus. Ils cédèrent à ses prières. La mère se déguisa, s’habillant comme la femme du valet de son mari. Elle put atteindre un port de mer et se procurer des places sur un vaisseau pour elle et ses enfants ; puis elle se cacha, tandis que le valet retournait chercher les enfants.

   La jeune fille se déguisa en paysanne et plaça chacun de ses deux frères, dans un panier, de chaque côté d’un âne. Ensuite, elle les couvrit de végétaux et d’autres produits de la ferme à une grande hauteur et partit, le domestique les précédant à cheval dans un costume de paysan.

   D’abord ils ne voyagèrent que la nuit ; mais comme le temps pressait, ils décidèrent de faire leurs dernières étapes pendant le jour. On recommanda expressément aux enfants de ne point parler et de ne point bouger, quoiqu’il arrivât.

   Le dernier jour du voyage, la jeune fille fut effrayée de voir arriver une troupe de cavaliers courant rapidement à leur poursuite. Ils continrent leurs chevaux et arrivant près de l’âne, et ordonnèrent à la jeune fille d’arrêter. « Qu’as-tu dans ce panier ? » dit le chef. — Avant qu’Angèle ait pu répondre, un des soldats tira sa longue rapière et l’enfonça dans un des paniers, ou était caché le plus jeune des garçons. Elle faillit s’évanouir, mais aucun son ne sortit du panier. Les soldats, pensant qu’il n’y avait rien de suspect, tournèrent bride et partirent au galop dans un nuage de poussière.

   A peine étaient-ils hors de vue que la jeune fille prit le panier, rejeta ce qui était par dessus, s’attendant à voir le corps sanglant de son frère. Mais heureusement, quoique couvert de sang, le seul mal qu’il eût était une blessure au bras que sa sœur s’empressa de bander. Le petit héros, caché au fond de son panier, savait que s’il faisait entendre le moindre cri, tous perdraient la vie ; aussi supporta-t-il silencieusement. Il porta la marque de ce coup d’épée aussi longtemps qu’il vécut.

   Ces jeunes réfugiés atteignirent enfin l’Angleterre, mais leur père ne quitta jamais vivant sa prison.

M. Henri Frédéric Reddall – Signes des Temps, Septembre 1883