Etoile du matin

Sauvée de la gueule du tigre

Mise en ligne Sep 22, 2014 par Etoile du Matin dans Coin Enfants
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Sauvée de la gueule du tigre

- J’aimerais rentrer chez moi, dit le jeune et fort Gurkha. Dans le village de mon père il n’y a pas d’instituteur qui puisse parler du Christ au peuple. Tous adorent des idoles de bois et de pierre. Je dois y aller et leur annoncer la Parole de Dieu.

- Que va penser ta femme de ta nouvelle foi, Sitaram ? Tu es chrétien à présent ; tu ne seras peut-être pas le bienvenu parmi ton peuple.

- C’est vrai, maître ; cependant, je dois rentrer.

- Alors va, et que Dieu t’accompagne et te protège.

- Merci, dit Sitaram.

   Il salua le missionnaire en s’inclinant. Puis il se prépara pour le long voyage vers la Birmanie où sa femme et sa petite fille l’attendaient à la ferme familiale.

   Sitaram était un Gurkha du Népal. Mais il avait presque toujours vécu en Birmanie où son père s’était installé peu après sa naissance. Les missionnaires chrétiens n’étaient pas bien accueillis au Népal, mais des stations s’étaient établies près de la frontière, et souvent, lorsque les hommes descendaient des montagnes, ils entendaient prêcher l’Evangile dans leur propre langue par les chrétiens qui témoignaient et prêchaient lors des fêtes ou sur les marchés.

   Sitaram était venu en Inde après avoir visité ses grands-parents au Népal. Là, il avait entendu parler du Christ et il s’était tellement intéressé au message qu’il passa quelques mois à la mission, apprenant à lire sa propre langue. Son zèle et sa soif d’apprendre réjouissaient le cœur des missionnaires. Cependant ils craignaient de le laisser aller rejoindre son peuple. Combien de temps pourrait-il continuer à adorer le vrai Dieu ?

   Le matin suivant Sitaram se mit en route pour la Birmanie, où sa famille élevait du bétail, vendait du lait et du beurre, et observaient les anciennes traditions du pays.

   Le jeune Gurkha prit le bateau de Calcutta à Rangoon ; ensuite, le train qui se lançait à l’assaut de la montagne ; puis, un autobus délabré. Finalement, il parcourut à pied les quelques kilomètres qui le séparaient encore de son village.

   Les membres de sa famille furent heureux de le revoir. Ils rirent et se réjouirent avec lui tandis qu’il racontait toutes les nouvelles du Népal. Tout se passa bien jusqu’à ce que sa mère commence à préparer le repas du soir. Sitaram l’observait avec un regard plein de tendresse et d’inquiétude. Il savait que le message dont il devait faire part à son peuple susciterait du chagrin, en tout cas au début. Cependant il ne pouvait manger avec eux avant de leur avoir dit qu’il était chrétien. Souper ensemble les obligerait à transgresser les lois de leur caste : il ne voulait pas qu’il en fût ainsi. Alors, avant que la nourriture soit disposée devant lui, il parla :

- Mon Père, dit-il courtoisement, pendant que j’étais en Inde, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a parlé du vrai Dieu, qui n’est pas comme ces dieux dont on nous a enseigné à adorer les images. Il est le Dieu tout-puissant qui a créé le soleil et les étoiles. Il a déclaré que tout homme devrait se détourner des idoles et le prier lui seul. Père, j’ai donné mon cœur à ce divin Maître. Je suis chrétien.

- Ne dis pas cela, mon fils, s’écria le père. Ne me dis pas que tu as transgressé les lois de notre caste. N’insulte pas les dieux de ta famille. D’où viennent ces folies ?

- Ce ne sont pas des sottises, mon père. C’est la vérité que je vous apporte. Regardez, tout est écrit dans ce Livre que je vais vous lire.

   Le père examina le Livre aux étranges caractères.

- Que puis-je faire avec un tel Livre ? demanda-t-il. Il ne parle pas ma langue.

- Oh si ! dit Sitaram. Ecoute, père.

   Et ouvrant le Livre à Jean 3 : 16, il lui : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique… »

- Il parle notre langue, s’écrièrent en chœur les villageois qui s’étaient pressés à la porte en entendant la voix du père s’élever contre son fils.

- Mais il ment, intervint le prêtre du village en se glissant dans l’abri. (Les Gurkhas vivent à l’extrémité de longs hangars qui abritent leurs vaches.) Il ment. N’écoute pas, mon peuple. Ne fais pas descendre sur nous la colère des dieux.

- Sors de cette maison, hurlèrent les frères de Sitaram en le poussant vers la porte. Et vous aussi, crièrent-ils à Beta, sa femme, et à la petite Soonjie, sa fille, qui, effrayée, avait saisi le sari de sa mère.

   Sitaram et les siens quittèrent donc le toit paternel et s’installèrent tant bien que mal dans un hangar vide aux confins du village. C’était un endroit solitaire, et lorsque la nuit tombait, Soonjie avait peur.

- Ne crains point, disait gentiment son père. Notre Dieu prendra soin de nous. Il nous aime.

- Mon mari, dit Beta, si ton Dieu nous aime tant, pourquoi a-t-il permis que notre famille nous mette à la porte ? Pourquoi devons-nous vivre dans ce hangar délabré ?

- Dieu nous aime, mais il faut laisser à notre peuple le temps de se rendre compte de son amour.

- Et comment ? demanda Beta. Ils ne t’écouteront pas.

- Ah ! dit Sitaram, quelques-uns viendront seulement pour apprendre à lire, mais d’autres écouteront les messages que le Livre transmettra à leur cœur.

   Et cette prédiction s’accomplit. Le soir suivant quelqu’un frappa à la porte. Un jeune homme s’était glissé jusqu’au hangar, en secret.

- Je veux apprendre à lire, dit-il. Je t’en prie, instruis-moi.

   Sitaram se mit à enseigner la lecture à Abdul. Le lendemain soir, un deuxième, puis un troisième, se glissèrent vers la hutte solitaire aux confins de la jungle. Peu à peu, les simples mots du Livre commencèrent à les toucher.

   Le prêtre en entendit parler, et il se mit en colère :

- Faites attention, dit-il au peuple. Le malheur va frapper cet instituteur. Il regrettera tous les jours d’avoir provoqué le déplaisir de nos dieux.

   Le peuple observa et attendit. Le jour, le jeune instituteur s’occupait de ses vaches, et le soir il s’asseyait près de la lampe à huile et enseignait les villageois qui venaient à lui. Bientôt, l’alphabet Gurkha ne fut plus une énigme pour de nombreuses personnes. Les hommes commençaient à bien lire. Le Livre, petit à petit, leur parlait.

- Attendez, disait rageusement le prêtre. Les dieux auront leur revanche.

   Les gens attendirent – quelques-uns dans la crainte, car ils aimaient le jeune instituteur et sa famille ; d’autres en colère contre celui qui avait osé transgresser les lois de la caste et se moquer des traditions anciennes.

   Près du village se trouvait une source. Chaque après-midi, les jeunes filles venaient y chercher de l’eau pour leur mère. Soonjie allait toujours la dernière à la source. Les autres filles se moquaient d’elle et la traitaient de tous les noms parce que son père adorait un Dieu étranger. Aussi attendait-elle que toutes aient rempli leur jarre et commencent à monter vers le village. Alors elle se précipitait vers la source et remplissait sa jarre en toute hâte, de peur que la nuit tombe et la surprenne avant qu’elle soit en sûreté à la maison.

   Un jour, un Gurkha avertit les anciens du village :

- J’ai vu le « mangeur d’hommes » !

- Où était-il ? demandèrent-ils avec émotion.

- En bas, près de la source.

   Tous les hommes descendirent en troupe vers l’eau et virent les traces profondément marquées dans le sol humide du grand tigre mangeur d’hommes. Ils pouvaient voir l’endroit où il s’était arrêté pour boire et celui où il avait sauté au-dessus de la source pour s’éloigner par le sentier opposé. Ils rentrèrent et passèrent la soirée à aiguiser de longs pieux de bambou. Le matin suivant, les pieux furent rassemblés près de la source et plantés dans le sol humide là où les traces montraient que le tigre pourrait toucher terre s’il sautait à nouveau par-dessus la source. C’était un piège très simple pour attraper les animaux sauvages, mais il était souvent efficace.

   Personne se s’attendait à ce que le tigre vienne en plein jour. Cet après-midi-là, les jeunes filles se rendirent donc à la source comme d’habitude. Elles rirent et jouèrent tout en remplissant leurs jarres et elles dansèrent en remontant la colline, ignorant que le tigre les guettait dans les hautes herbes. Il ne bondit pas sur elles, car elles étaient nombreuses et se tenaient toutes ensemble.

   Très tôt, le matin de ce même jour, Sitaram avait été surpris de trouver quelques-uns de ses élèves attendant à la porte.

- Que voulez-vous ? avait-il demandé.

- Nous avons pensé qu’il était mal de venir en secret. Nous avons décidé de nous conduire en hommes et t’écouter ouvertement nous parler de Dieu, répondirent-ils.

- Oh venez ! dit Sitaram avec joie. Nous étions sur le point de commencer notre culte matinal.

   Ils entrèrent et s’agenouillèrent avec la petite famille pour prier Dieu. Aucune idole dans cette humble demeure, même pas une image. Il n’y avait que le Livre dans lequel  Sitaram avait lu avant la prière. Mais le Livre parla à leur cœur. Et ils furent émus lorsque Sitaram pria : « Garde chacun de nous dans ton amour. »


   Lorsque les autres fillettes eurent remonté la colline, Soonjie prit sa jarre et se dirigea vers la source. Elle ne vit pas le tigre sur le point de bondir, caché par les hautes herbes qui ondulaient sous le vent. Cependant elle avait peur. La jungle lui semblait plus hostile que d’habitude. Elle se souvint des paroles de son père : « Dieu nous aime et il est toujours près de nous. »

   Soonjie s’agenouilla pour plonger sa jarre dans la source. Elle trembla soudain en voyant les grandes ombres noires s’allonger sur l’eau. « Je vais prier, se dit-elle, le Dieu de mon père m’entendra. »

   Elle s’inclina très bas comme le font les Hindous pour prier. Elle pressa ses paumes contre terre puis son front sur ses mains. Elle ferma les yeux et murmura : « Merci mon Dieu, je sais que tu m’aimes aussi. »

   Lorsque le tigre vit Soonjie s’agenouiller en lui tournant le dos pour remplir sa jarre, il s’élança vers sa tête. Mais au même moment la petite fille avait posé son front sur les mains pour prier. Dans son élan, l’animal passa au-dessus d’elle et alla atterrir sur les bambous pointus que les villageois avaient plantés.

   Soonjie entendit tomber le fauve. Elle leva la tête et vit le grand tigre mangeur d’homme empalé sur les pieux.

- Père ! s’écria-t-elle.

   Oubliant sa jarre, elle se mit à courir aussi vite que possible vers la maison.

- Père ! Père ! Dieu était là tout le temps. Il m’a sauvée !

   Les villageois entendirent ses cris. Ils sortirent de leurs huttes et se précipitèrent au bas de la colline. Lorsqu’ils se rendirent compte de ce qui était arrivé, beaucoup tournèrent un visage très pâle vers le jeune instituteur.

- Oui, ton Dieu était là tout le temps, dirent-ils.

   Ils ajoutèrent :

- Apprends-nous à connaître le Livre qui parle au cœur. Nous voulons adorer le vrai Dieu. Et toi, enfant – ils s’adressaient gentiment à Soonjie – ton nom ne sera plus Soonjie, mais Chairma, car tu as été sauvée de la gueule du tigre.

   Chairma veut dire « Fille du tigre ».